et soufflait une fumée noire dans l’air. En avant du premier rang, au bord du fleuve, trois hommes barbouillés de rouge de la tête aux pieds s’agitaient de long en large sans répit. Quand nous arrivâmes à leur hauteur, ils firent face, frappèrent du pied, hochèrent leur tête encornée, balancèrent leur corps écarlate ; ils brandissaient vers le redoutable Démon une touffe de plumes noires, une peau galeuse à la queue pendante, quelque chose qui avait l’air d’une gourde séchée et à intervalles réguliers, ils hurlaient tous ensemble des kyrielles de mots extraordinaires qui ne ressemblaient aux sons d’aucune langue humaine, et le murmure profond de la multitude, subitement interrompu, était pareil aux répons de quelque satanique litanie.
« Nous avions porté Kurtz dans l’abri de pilote : cet endroit était plus aéré. Étendu sur sa couchette, il regardait fixement par le volet ouvert. Il y eut un remous dans la masse des corps, et la femme à la tête casquée, aux joues bronzées, s’élança jusqu’au bord même de la rive. Elle tendit les mains, cria je ne sais quoi et la foule tout entière se joignit à sa clameur dans un chœur formidable de sons rapides, articulés, haletants.
— « Vous comprenez cela ?… » demandai-je.
« Il continuait de regarder au dehors, par-dessus moi, avec des yeux avides et furieux, une expression où le regret se mêlait à la haine. Il ne répondit pas, mais je vis un sourire, un indéfinissable sou-