avaient un air bien soumis au bout de leur bâton. — « Vous ne soupçonnez pas à quel point une telle existence met à l’épreuve un homme comme M. Kurtz !… », s’écria le dernier disciple de M. Kurtz. — « Eh bien, et vous ?… » fis-je. — « Moi ! Oh, moi, je ne suis qu’un pauvre diable !… Je n’ai point d’idées… Je n’attends rien de personne… Comment pouvez-vous me comparer à… » L’excès de son émotion l’empêchait de parler ; il s’arrêta court. « Je ne comprends pas, gémit-il. J’ai fait de mon mieux pour le garder en vie et cela me suffit. Je n’ai pas eu de part dans tout cela… Je suis une âme simple… Depuis des mois, ici, il n’y a pas eu le moindre médicament, pas une bouchée de quoi que ce soit à donner à un malade… Il a été honteusement abandonné… Un homme comme lui et avec de telles idées… Honteux, oui, c’est honteux… Et je… je n’ai pas fermé l’œil ces dix dernières nuits !… »
« Sa voix se perdit dans le calme du soir. Les ombres allongées de la forêt avaient glissé jusqu’au bas de la colline, tandis que nous parlions, dépassant la baraque croulante et la rangée symbolique de poteaux. La pénombre à présent enveloppait tout cela, cependant que nous étions encore dans la clarté du soleil, et que le fleuve, en face de là, brillait toujours d’une éclatante et tranquille splendeur que bordait, au long de la rive et au-dessus d’elle, une bande obscure et ombragée. Pas une