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était extraordinaire. Le campement de ces gens entourait toute la station et chaque jour, les chefs venaient le voir. Ils s’avançaient en rampant… « Je ne tiens pas à savoir quoi que ce soit du cérémonial usité pour approcher M. Kurtz !… » criai-je. Curieux, j’eus l’impression que ces détails seraient moins supportables que la vue des têtes qui séchaient sur des pieux en face des fenêtres de M. Kurtz… Après tout, ce n’était là qu’un spectacle barbare, et dans cette obscure région de subtiles horreurs, où d’un bond j’avais été transporté, la simple sauvagerie, affranchie de toute complication, apportait du moins le réconfort réel d’une chose qui avait le droit d’exister — notoirement à la lumière du jour. Le jeune homme me regarda avec surprise. J’imagine qu’il ne lui était pas venu à l’esprit que M. Kurtz n’était pas une idole pour moi. Il oubliait que je n’avais entendu aucun de ses splendides monologues… sur quoi donc !… ah, oui ! sur l’amour, la justice, la conduite de la vie, que sais-je encore… S’il fallait ramper devant M. Kurtz, il rampait comme le plus sauvage d’entre ces sauvages. Je ne me rendais pas compte des circonstances, fit-il. Ces têtes étaient celles de rebelles. Je le surpris considérablement en me mettant à rire. Rebelles ! Quelle était la prochaine qualification que j’allais entendre ? Il y avait déjà eu ennemis, criminels, ouvriers ; ceux-ci étaient des rebelles. Ces têtes rebelles pourtant