années ! — sa vie n’avait tenu qu’à un cheveu, et il était là vivant, bravement, étourdiment vivant et selon toute apparence indestructible, par la seule vertu de ses jeunes années et de son audace irréfléchie. Je me prenais à le considérer avec quelque chose comme de l’admiration, voire de l’envie. Un enchantement l’entraînait ; un autre enchantement le protégeait. Il n’attendait assurément rien de la sauvagerie que des espaces où respirer, des étendues où s’enfoncer. Son unique besoin était d’exister et de circuler en courant le plus de risques possibles, avec le maximum de privations. Si jamais l’esprit d’aventure, absolument pur, désintéressé et chimérique posséda un homme, c’était bien cet adolescent tout rapiécé. Je lui enviai presque la possession de cette claire et modeste flamme. Elle semblait avoir si bien consumé en lui toute pensée personnelle que même durant qu’il vous parlait, on oubliait que c’était à lui — cet homme-là, présent, devant vous — que toutes ces choses étaient arrivées. Je ne lui enviai pas toutefois sa dévotion pour Kurtz. Il n’avait pas délibéré sur ce point. Elle était venue à lui, et il l’avait acceptée avec une sorte d’ardent fatalisme. Je dois ajouter qu’à mes yeux, de toutes les choses qu’il avait rencontrées, celle-là était bien la plus dangereuse.
« Ils s’étaient accointés forcément, comme deux vaisseaux en panne se rapprochent et finissent par