III
« Je le considérai à mon tour, confondu d’étonnement. Il était là devant moi, en habit bariolé, comme s’il venait de s’échapper d’une troupe de baladins, enthousiaste et fabuleux. Le fait seul de son existence était invraisemblable, inexplicable, complètement déconcertant. Il était un de ces problèmes qu’on ne résout pas. Impossible d’imaginer comment il avait vécu, comment il avait pu parvenir si loin, comment il s’était arrangé pour y rester — pourquoi il n’avait pas disparu incontinent. — « J’ai poussé un peu plus avant, disait-il, et puis encore un peu plus, jusqu’au moment où je me suis trouvé être allé si loin que je ne vois trop comment j’arriverai jamais à revenir sur mes pas… Tant pis !… J’ai le temps. Je sais me débrouiller… Mais emmenez vite Kurtz — vite, je vous le dis !… » — L’enchantement de la jeunesse enveloppait ses haillons bigarrés, son dénuement, sa solitude, la profonde désolation de ce stérile vagabondage. Pendant des mois — des