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même avant de disparaître pour toujours. Tous les pèlerins à ce moment et le Directeur étaient rassemblés sur l’avant-pont, autour de l’abri du pilote, jacassant entre eux comme une bande de pies excitées, et ma diligence impitoyable souleva un murmure scandalisé. J’avoue que je ne vois pas pourquoi ils tenaient à conserver ce cadavre. Pour l’embaumer peut-être ! Sur l’entrepont, cependant, un autre murmure avait couru, fort significatif. Mes amis, les coupeurs de bois, étaient tout aussi scandalisés et avec plus d’apparence de raison, bien que je n’hésite pas à reconnaître que leur raison n’était guère admissible. Aucun doute là-dessus ! Mais j’avais décidé que si mon timonier devait être mangé, ce seraient les poissons seuls qui l’auraient. Durant sa vie il n’avait été qu’un pilote médiocre, maintenant qu’il était mort, il risquait de devenir une tentation sérieuse et, qui sait, de déchaîner peut-être quelque saisissant incident. Au surplus, j’avais hâte de reprendre la barre, car l’homme en pyjama rose se révélait lamentablement en-dessous de sa tâche.

« C’est ce que je m’empressai de faire dès que ces funérailles furent terminées. Nous marchions à vitesse réduite en tenant le milieu du courant, et je prêtais l’oreille au bavardage autour de moi. Ils tenaient Kurtz pour perdu et la station aussi ; Kurtz était mort, la station probablement brûlée et ainsi de suite. Le pèlerin à cheveux rouges