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de début, pourtant, à la lumière d’informations ultérieures, m’apparaît à présent terriblement significatif. Il commençait par déclarer que, nous autres blancs, au point de développement où nous sommes parvenus, « nous devons nécessairement leur apparaître (aux sauvages) sous la figure d’êtres surnaturels, — nous les approchons avec l’appareil d’une force quasi divine, » et ainsi de suite. « Par le seul exercice de notre volonté, nous pouvons mettre au service du bien une puissance presque illimitée, etc., etc. ». C’est de là que, prenant son essor, il m’entraîna à sa suite. La péroraison était magnifique, bien qu’assez malaisée à retenir. Elle me donna l’impression d’une exotique Immensité régie par une auguste Bienveillance. Elle me transporta d’enthousiasme. J’y retrouvais le prestige sans limite de l’éloquence, des mots, de nobles mots enflammés. Aucune suggestion pratique qui rompît le magique courant des phrases, à moins qu’une sorte de note, au bas de la dernière page, griffonnée évidemment bien plus tard et d’une main mal assurée, ne dût être considérée comme l’énoncé d’une méthode. Elle était fort simple et terminant cet émouvant appel tous les sentiments altruistes, elle éclatait, lumineuse et terrifiante, comme le trait d’un éclair dans un ciel serein : « Exterminer toutes ces brutes ». Le plus curieux, c’est qu’il avait apparemment perdu de vue ce remarquable post-scriptum, attendu que