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total où le murmure d’aucun voisin bien intentionné ne se fait l’écho de ce que les autres pensent de vous… C’est de ces petites choses-là qu’est faite la grande différence… Qu’elles disparaissent et vous aurez à faire fond sur votre propre vertu, sur votre propre aptitude à la fidélité. Bien entendu, vous pouvez être trop sot pour risquer d’être dévoyé, trop borné même pour soupçonner que vous êtes assailli par les puissances des ténèbres. Je tiens que jamais imbécile n’a vendu son âme au diable ; l’imbécile est trop imbécile ou le diable trop diable, je ne sais lequel. Ou encore, vous pouvez être une créature éblouie d’exaltation au point d’en demeurer aveugle et sourd à tout ce qui n’est pas visions ou harmonies célestes. La terre dès lors n’est plus pour vous qu’un endroit de passage, et qu’à ce compte, il y ait perte ou gain, je n’ai pas la prétention d’en décider… La plupart d’entre nous cependant ne sont ni de ceux-ci ni de ceux-là… Pour nous, la terre est un endroit où il nous faut vivre, nous accommoder de visions, d’harmonies et d’odeurs aussi, parbleu !… — respirer de l’hippopotame crevé et n’en pas être empoisonné !… Et c’est là que la force personnelle entre en jeu. La confiance où vous êtes d’arriver à creuser des fosses pas trop voyantes où enfouir des choses…, — votre faculté de dévouement non pas à vous-même, mais à quelque obscure et exténuante besogne… Et c’est assez malaisé. Notez que je