venions tout juste de doubler péniblement un coude, lorsque j’aperçus un îlot, une simple langue de terre herbue, d’un vert éclatant, au milieu du courant. Elle était seule de son espèce, mais en approchant je constatai qu’elle constituait la pointe avancée d’un long banc de sable ou plutôt d’une suite de hauts fonds qui s’étendaient au milieu du fleuve. Ils étaient décolorés, tout juste immergés et se laissaient deviner sous l’eau comme au long d’un dos les vertèbres apparaissent sous la peau. Autant que je m’en rendais compte, on pouvait passer soit à droite, soit à gauche. Bien entendu, j’ignorais tout du chenal. Les deux rives paraissaient identiques et la profondeur pareille : pourtant, sachant que la station se trouvait du côté ouest, je pris instinctivement le passage à droite.
« À peine y étions-nous engagés, je m’aperçus qu’il était beaucoup plus étroit que je ne l’avais supposé. À notre gauche s’étendait le haut banc ininterrompu : de l’autre côté, la berge se dressait à pic, couverte d’un épais taillis ; au-dessus de ce taillis, les arbres s’élevaient en rangs serrés. Les feuillages pendaient au-dessus du courant et de temps en temps une grosse branche se projetait toute droite en travers du fleuve. L’après-midi était avancé : l’aspect de la forêt était sombre et déjà une large bande d’ombre était tombée sur l’eau. C’est dans cette ombre que nous avan-