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par se résoudre en violence : mais plus généralement elle se traduit par de l’apathie.

« Il eût fallu voir les pèlerins ouvrir des yeux ronds. Ils n’avaient pas le courage de ricaner ou de me tourner en dérision, mais ils durent me croire fou — de frayeur sans doute ! Je leur fis. un discours en trois points : Mes enfants, pas besoin de se frapper ! Avoir l’œil au guet ?… Vous pensez bien que j’épiais la moindre velléité qu’aurait le brouillard de se lever, à la façon dont le chat épie la souris, mais pour tout autre usage nos yeux étaient aussi inutiles que si nous avions été enfouis à quelques kilomètres de profondeur, sous une montagne de coton. J’éprouvais du reste l’impression accablante, chaude, étouffante d’un ensevelissement… — Tout ce que je déclarai aux pèlerins, si extravagant qu’il parût, était d’ailleurs la stricte vérité. Ce que nous considérâmes ultérieurement comme une attaque, ne fut somme toute tenté que pour nous tenir à distance. Loin d’être agressive, l’action n’était même pas défensive au sens usuel du mot : elle fut risquée sur le coup du désespoir et n’était essentiellement qu’une mesure de protection contre nous.

« Elle se développa, si je puis dire, deux heures après que le brouillard se fût levé et son commencement prit place à un endroit distant d’environ deux kilomètres de la station de Kurtz. Nous