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enfermé à l’intérieur de la chaudière s’irriterait de l’intensité de sa soif et se vengerait de façon terrible. Aussi il suait et activait ses feux et épiait le verre d’un air effrayé (avec un fétiche improvisé, fait de haillons liés à son bras et un morceau d’or poli, aussi gros qu’une montre, fiché à plat dans sa lèvre inférieure), tandis que les rives boisées défilaient lentement, et que laissant derrière nous le bruit furtif de notre passage, et combien d’interminables kilomètres de silence ! — nous avancions péniblement dans la direction de Kurtz. Mais les troncs noyés étaient abondants, l’eau perfide et sans profondeur ; la chaudière effectivement semblait abriter un démon acariâtre, si bien que ni le chauffeur ni moi-même n’avions le loisir d’approfondir nos insidieuses pensées.

« À quelque vingt kilomètres de la Station Intérieure, nous tombâmes sur une case de roseaux, un mélancolique mât penché, arborant encore les méconnaissables lambeaux de ce qui avait été un drapeau — et sur la rive un tas de bois proprement empilé. Ceci était inattendu. Nous accostâmes et sur le tas de bois nous trouvâmes une planchette portant une inscription au crayon, toute pâlie. Nous y pûmes déchiffrer les mots suivants : « Du bois pour vous. Dépêchez-vous. Approchez avec précaution. » Il y avait une signature, mais elle était illisible ; ce n’était pas celle de Kurtz,