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à la directe sincérité de ce vacarme, l’impression confuse qu’il s’y cachait un sens que vous étiez, vous si loin de la nuit des âges, capable de comprendre… Et pourquoi pas ! L’esprit de l’homme contient tous les possibles, parce que tout est en lui, tout le passé comme tout l’avenir… Qu’y avait-il là-dedans, après tout ?… Joie, frayeur, douleur, vénération, courage, colère, qui saurait le dire ?… De la vérité en tout cas, de la vérité dépouillée des oripeaux du temps. Que le sot demeure bouche bée et frissonne — l’homme comprend et peut regarder en face sans broncher. Encore faut-il qu’il soit lui-même aussi humain que ceux de la rive… Il faut aborder cette vérité avec ce qu’on a de plus réel en soi, avec notre propre force innée. — Des principes ?… Non, des principes ne suffiraient pas. Ce ne sont là qu’acquisition, déguisement, élégante friperie qui s’envoleraient à la première secousse un peu rude. Ce qu’il faut, c’est une foi délibérée… Y a-t-il pour moi un appel dans ce barbare tumulte ?… Soit, j’entends, j’admets, mais j’ai une voix aussi et qui n’est pas de celles à qui on impose silence… Bien sûr, le sot, — soit frayeur, soit nobles sentiments, — ne court aucun risque… Que marmottez-vous là-bas ?… Vous vous demandez pourquoi je ne suis pas descendu à terre pour y aller à mon tour de mon hurlement et de ma danse… Je ne l’ai pas fait, j’en conviens… Nobles sentiments,