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II

« Un après-midi que j’étais étendu de tout mon long sur le pont de mon vapeur, j’entendis un bruit de voix qui se rapprochait ; c’étaient le neveu et l’oncle qui flânaient au bord de l’eau. Je reposai simplement la tête sur mon bras et j’étais déjà plus qu’à-demi assoupi quand quelqu’un dit — j’aurais juré que c’était à mon oreille ― : « Je suis doux comme un enfant, mais je n’aime pas qu’on me fasse la loi… Suis-je le Directeur — ou non ?… On m’a donné l’ordre de l’envoyer là-bas… C’est incroyable !… » Je me rendis compte que les deux hommes étaient arrêtés sur la rive, à la hauteur de l’avant du vapeur, juste en-dessous de ma tête. Je ne bougeai pas ; l’idée ne me vint pas de faire un mouvement : j’étais si somnolent ! « C’est fâcheux… », grogna l’oncle. « Il a demandé à l’Administration qu’on l’envoie là-bas, reprit l’autre, avec l’arrière-pensée de montrer ce dont il était capable, et j’ai reçu des ordres en conséquence. Quelle influence cet homme ne doit-il pas avoir !