tance les autres agents, qui, de leur côté, disaient qu’il était l’espion du directeur. Quant à moi, je lui avais à peine adressé la parole jusqu’à ce jour. Nous nous mîmes à parler, et peu à peu, tout en marchant, nous nous écartâmes des décombres qui sifflaient. Il m’invita alors dans sa chambre qui était dans le bâtiment principal de la Station. Il fit craquer une allumette et je constatai que ce jeune aristocrate non seulement possédait un nécessaire de toilette en argent, mais aussi une bougie tout entière pour son usage personnel. À ce moment le directeur seul était censé avoir droit à des bougies. Des nattes indigènes recouvraient les murailles de glaise où était accrochée en guise de trophées une collection de lances, de sagaies, de boucliers, de couteaux. La fonction dévolue à notre homme était, d’après ce que l’on m’avait dit, de faire des briques, mais il était impossible de découvrir dans toute la Station le moindre morceau de brique, et il y avait un an déjà qu’il était là, à attendre. Il paraît qu’il ne pouvait faire ses briques sans quelque chose, je ne sais quoi au juste, de la paille peut-être. En tout cas, il était impossible de trouver ce quelque chose sur place, et comme il y avait peu de chance que ce fût expédié, d’Europe, on ne voyait pas trop bien ce qu’il continuait d’attendre. Un acte de création spontanée, peut-être !… Tous d’ailleurs, ils attendaient quelque chose, les seize ou vingt
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