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la Société : je pouvais par suite m’expliquer l’anxiété qu’il éprouvait. Il était, me répéta-t-il, très, très… inquiet. De fait il ne cessait de remuer son siège et soudain tandis qu’il s’écriait : « Ah, M. Kurtz !… » le bâton de cire à cacheter se brisa entre ses mains et il demeura comme saisi de l’accident. La première chose qu’il tenait à savoir, c’était combien de temps il me faudrait pour… Je l’interrompis à nouveau. J’avais faim et il me laissait là, planté sur mes jambes : je devenais enragé ! Comment pourrais-je le dire ? Je n’avais pas encore vu l’épave… « Quelques mois, sans doute. » Tout ce bavardage me semblait tellement superflu. « Quelques mois, dit-il. Eh bien, mettons trois mois avant qu’il soit possible de se mettre en route. Oui, cela doit faire l’affaire… » Je sortis de la case (il habitait seul une case d’argile ornée d’une espèce de vérandah) en grommelant entre mes dents, l’opinion que je m’étais faite de lui : Ce n’était qu’un loquace imbécile. Plus tard, je revins là-dessus quand je fus frappé de l’extrême précision avec laquelle il avait évalué le temps nécessaire à « l’affaire »…

« Je me mis à l’ouvrage le jour suivant, le dos tourné pour ainsi dire à la Station. C’était là la seule façon, me semblait-il, d’arriver à garder le contact avec les réalités salutaires de la vie. De temps en temps pourtant, il faut bien jeter les yeux autour de soi, et alors j’apercevais cette Station