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vouloir en caractériser précisément la nature, il n’est personne qui ne puisse voir que ce n’est assurément pas l’accent du regret ni celui du souvenir attendri.

Une remarque encore. Jeunesse est un produit de la mémoire. C’est le fruit de l’expérience même : mais cette expérience, dans ses faits, dans sa qualité intérieure et sa couleur extérieure, commence et s’achève en moi-même. Le Cœur des Ténèbres est également le résultat d’une expérience, mais c’est l’expérience légèrement poussée (très légèrement seulement) au delà des faits eux-mêmes, dans l’intention parfaitement légitime, me semble-t-il, de la rendre plus sensible à l’esprit et au cœur des lecteurs. Il ne s’agissait plus là d’une sincérité de couleur. C’était comme un art entièrement différent. Il fallait donner à ce sombre thème une résonance sinistre, une tonalité particulière, une vibration continue qui, je l’espérais du moins, persisterait dans l’air et demeurerait encore dans l’oreille, après que seraient frappés les derniers accords.

1917. J. C.