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fourvoyé. J’ai vu le démon de la violence, et le démon de la cupidité et celui du désert brûlant ; bon sang ! C’était là de vigoureux démons bien en chair, l’œil hardi — et c’était des hommes, des hommes, entendez-vous, que ces démons-là commandaient et possédaient. Mais, debout sur le flanc de la colline, j’eus le pressentiment que sous l’aveuglant soleil de ce pays, j’allais apprendre à connaître le démon, flasque, hypocrite, aux regards évasifs, le démon d’une folie rapace et sans merci. Ce qu’il pouvait être insidieux aussi, je ne devais le découvrir que plusieurs mois plus tard et à quelques milliers de kilomètres de là ! Un moment je demeurai épouvanté, comme par un avertissement. Enfin je me mis à descendre la colline, obliquement, dans la direction des arbres que j’avais aperçus.

« J’évitai un vaste trou artificiel que l’on avait creusé dans la pente et dont il me fut impossible de deviner l’objet. Ce n’était assurément ni une carrière ni une sablière. C’était un trou sans plus. Peut-être avait-il quelque rapport avec le philanthropique désir de fournir quelque occupation aux criminels, qui sait ? Ensuite je faillis dégringoler dans une tranchée très étroite, à peine plus marquée qu’une coupure dans le flanc de la colline. Je constatai qu’une quantité de tuyaux de drainage importés y avait été jetée pêle-mêle. Pas un qui ne fût brisé. C’était un massacre sau-