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conduire à l’hôtel. Il restait ahuri sur la Piazza, comme un chien perdu, songeant vaguement à la meilleure façon de se procurer sans retard quelque chose à manger.

Tout à coup, il se souvint de sa pièce de vingt francs. Il m’expliqua qu’il avait conservé cette pièce d’or française depuis trois ans. Il la gardait sur lui comme une sorte de réserve en cas d’accident. On peut toujours se faire vider les poches, ce qui n’a d’ailleurs aucun rapport avec un vol effronté et insultant.

L’arche monumentale de la galerie Umberto se dressait devant lui, au sommet d’un noble escalier de pierre.

Il en gravit les marches sans perdre de temps et se dirigea vers le café Umberto. Toutes les places de la terrasse étaient occupées par des consommateurs. Mais comme il voulait manger, il pénétra dans le café, que des piliers carrés, garnis de glaces sur toutes leurs faces divisaient en plusieurs parties. Le Comte s’assit sur une banquette de peluche rouge et attendit son rizotto en s’adossant à l’un des piliers. Et son esprit revint à son abominable aventure.

Il pensait au jeune homme élégant et maussade, dont le regard avait croisé le sien dans la foule, près du kiosque à musique, et qu’il considérait, dans son for intérieur, comme son voleur. Le reconnaîtrait-il s’il le voyait ? Probablement. Il n’éprouvait d’ailleurs aucun désir de le revoir. Le mieux était pour lui d’oublier cet épisode humiliant.

Le Comte tournait des yeux impatients vers le rizotto attendu, lorsque brusquement, à sa gauche, contre le mur, il aperçut le jeune homme. Il était assis seul à une table, avec une bouteille d’un vin ou d’un sirop quelconque devant lui, et une carafe frappée. Ces joues lisses et olivâtres, ces lèvres rouges, cette petite moustache de jais au pli agressif, ces beaux yeux noirs un peu lourds et bordés de longs cils, cette expression particulière de