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il le cherchait à cinq pieds dix pouces du sol, le fait n’était pas très surprenant, mais n’en paraissait pas moins étrange au général Féraud.

— La vue de ces pieds et de ces jambes lui fit monter à la tête un brusque flot de sang. Il chancela littéralement derrière son arbre, et dut se retenir de la main. L’autre était à terre, alors. A terre. Parfaitement immobile. En pleine vue. Qu’est-ce que cela voulait dire ? L’idée qu’il avait abattu son adversaire du premier coup se fit jour dans la tête de Féraud et y prit consistance de seconde en seconde, étouffant toute autre supposition, irrésistible, triomphante, féroce.

— Quel idiot j’étais de croire que j’avais pu le manquer, grommela-t-il entre ses dents ; il est resté exposé en plein, l’imbécile, pendant deux bonnes secondes.

Féraud regardait les membres immobiles, et sentait les derniers vestiges de surprise faire place en lui à une admiration sans bornes pour sa propre adresse de tireur.

— Les pieds en l’air ! Par le dieu de la guerre, voilà un coup ! exultait-il en lui-même. Il l’a évidemment reçu en plein dans la tête, et est venu tomber derrière cet arbre, pour mourir.

Il ouvrait de grands yeux, oubliant le danger, avec une sorte d’épouvante et presque de regret. Pour rien au monde, cependant, il n’aurait voulu revenir sur un coup pareil.

— Roulé sur le dos pour mourir !

C’était cette position désespérée d’un homme sur le dos qui criait l’évidence au général Féraud. Il ne pouvait s’imaginer qu’une semblable attitude eût été délibérément adoptée par un homme vivant. C’était inconcevable, en dehors de toute supposition raisonnable. On ne pouvait invoquer de raison plausible pour une telle folie. Il faut reconnaître que les pieds dressés du général d’Hubert paraissaient étrangement morts. Le général