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voix. Il y en a au moins une à laquelle je mettrai bon ordre.

Et regardant tout autour de lui :

— Voilà un officier d’état-major, un de ces mignons frisés et pommadés des maréchaux qui ont vendu leur père pour une poignée d’or anglais. Il s’apercevra bientôt que je vis encore, déclara-t-il d’un ton dogmatique. C’est une affaire particulière, une vieille affaire d’honneur. Bah ! notre honneur ne compte pas. On nous parque ici, l’oreille fendue, comme un troupeau de chevaux réformés, bons pour l’équarrisseur. Mais ce serait une façon de frapper un coup pour l’Empereur. Messieurs, j’aurai besoin de deux d’entre vous.

Tous s’offrirent. Profondément touché de cette démonstration, le général Féraud choisit avec émotion le cuirassier borgne et l’officier de chasseurs à cheval qui avait laissé le bout de son nez en Russie. Il s’excusa auprès des autres.

— C’est une affaire de cavalerie, vous comprenez.

Un tumulte d’acclamations lui répondit :

— Parfaitement, mon général !... C’est juste... Parbleu, c’est connu...

Tout le monde était satisfait. Les trois hommes quittèrent le café, salués par des souhaits de « Bonne chance ».

Dans la rue ils se prirent le bras, le général au milieu. Les trois chapeaux roussis portés en bataille, avec une obliquité sinistre, barraient presque entièrement la rue étroite. Surchauffée, la petite ville aux murs gris et aux toits rouges dormait son sommeil d’après-midi provincial sous le ciel bleu. Les coups sonores et réguliers d’un tonnelier qui cerclait une futaille se répercutaient entre les maisons. Le général retira un peu son pied gauche dans l’ombre du mur.

— Ce maudit hiver de 1813 m’est rentré jusqu’au fond des os. N’importe ; on prendra des pistolets, voilà