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et je vois qu’il me faut en finir avec cet intrigant. Le voilà qui a réussi à s’insinuer dans l’état-major personnel du maréchal. C’est une provocation directe à mon endroit. Je ne puis tolérer une situation qui m’expose, d’un jour à l’autre, à recevoir un ordre par son intermédiaire. Et Dieu sait quel ordre, encore ! Cette sorte d’affaire s’est déjà produite une fois, et c’est une fois de trop. Il s’en rend parfaitement compte, soyez tranquilles. Je ne puis vous en dire plus, et vous savez ce qu’il vous reste à faire.

La rencontre eut lieu en dehors de Lubeck, sur un terrain découvert, spécialement choisi pour complaire au sentiment général de la division de cavalerie attachée au corps d’armée, qui estimait que cette fois les deux officiers devaient se battre à cheval. Après tout, ce duel était affaire de cavalerie, et en s’obstinant à combattre à pied, les adversaires paraîtraient faire fi de leur arme. Les seconds, surpris de la nouveauté d’une telle perspective, se hâtèrent d’en référer à leurs hommes. Le capitaine Féraud adoptait l’idée avec enthousiasme. Pour quelque raison obscure, dépendant sans doute de sa psychologie, il s’estimait invincible à cheval. Seul entre les quatre murs de sa chambre, il se frottait les mains, et grommelait d’un ton triomphant : — Ah ! mon bel officier d’état-major. Je te tiens cette fois !

Quant à d’Hubert, après avoir longuement regardé ses amis, il haussa légèrement les épaules. Cette affaire avait stupidement et désastreusement compliqué son existence. On n’en était plus à une absurdité près, et toutes les absurdités lui déplaisaient fort ; mais avec son urbanité habituelle, il eut un sourire légèrement ironique et dit de sa voix calme : — Ce sera évidemment une façon de rompre la monotonie de l’affaire.

Laissé seul, il s’assit à sa table et se prit la tête à deux mains. Il ne s’était pas ménagé, depuis quelque temps, et le maréchal avait beaucoup exigé de ses aides de