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admirable et si fascinant à l’humilité de son cœur, que son seul souci était de le voir promptement rétabli, dût-il reprendre aussitôt ses visites au salon de madame de Lionnel.

Le lieutenant d’Hubert garda le silence pour la raison bien claire qu’il n’avait, en dehors d’un jeune brosseur stupide, personne à qui parler. Au surplus, il sentait que l’épisode, si grave professionnellement, avait aussi son côté comique. A la réflexion, il se disait encore qu’il eût aimé tordre le cou au lieutenant Féraud. C’était là, d’ailleurs, façon de parler plus imagée que précise, et qui traduisait un état d’esprit plutôt qu’une impulsion physique véritable. Il subsistait en même temps, chez ce jeune homme, un sentiment de camaraderie et une bienveillance naturelle qui lui faisaient répugner à aggraver la situation du lieutenant Féraud. Il n’allait pas répandre, à droite et à gauche, cette maudite histoire. A l’enquête, il devrait dire la vérité pour se défendre, et cette seule perspective l’agaçait.

Il n’y eut pas d’enquête, car l’armée entra en campagne et d’Hubert, relâché sans observations, prit son service au régiment. Féraud, le bras à peine sorti de l’écharpe, retrouva sa place dans l’escadron, et sans essuyer de questions indiscrètes, acheva sa convalescence dans la fumée des champs de bataille et la fraîcheur des bivouacs nocturnes. Ce traitement fortifiant lui réussit si bien, qu’aux premières rumeurs d’un armistice, il put songer sans crainte à son duel particulier.

Cette fois, il s’agissait d’un combat en règle. Il dépêcha deux amis au lieutenant d’Hubert, dont le régiment campait à petite distance du sien. Ces amis n’avaient posé aucune question à leur commettant. —Il me doit une revanche, le bel officier d’état-major, avait-il dit d’un ton sombre, et ils étaient tranquillement partis pour leur mission. D’Hubert n’eut pas de peine à trouver deux amis également discrets et dévoués à leur