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Sagamore a besoin d’un bon coup de tomahawk, comme il disait, pour ménager les sentiments de George, probablement. Mais chaque fois qu’il disait ce mot, George frissonnait… « J’ai sous la main un homme qui ferait tout à fait l’affaire : il fera la chose pour cinq cents livres, et encore il sera trop heureux de l’occasion », dit Cloete… À ce propos George ferme les yeux, mais en même temps il réfléchit. Quelle blague ! Il n’y a pas un homme capable de cela, et même s’il y en avait un serait-il assez sûr ? savoir ?…

Et Cloete ne cesse de plaisanter là-dessus. Il ne pouvait jamais parler de quoi que ce soit, sans vous donner la sensation de plaisanter « Maintenant, dit-il, je sais que vous êtes un homme plein de moralité. La moralité c’est surtout de la peur, et je pense que vous êtes l’homme le plus peureux que j’aie jamais rencontré dans mes voyages. Eh quoi ! cela vous fait peur de parler à votre frère ? Cela vous fait peur d’ouvrir la bouche quand il y a pour nous toute la perspective d’une fortune ?… » Là-dessus, voilà George qui bondit : Non, il n’a pas peur ; il va lui parler. Il se met à frapper du poing sur le bureau. Et Cloete lui tape sur l’épaule… : Nous serons bientôt des gens riches », dit-il.

Mais la première fois que George Dunbar essaye de parler au capitaine Harry, le cœur lui tombe dans les bottes. Le capitaine se met à rire à l’idée de rester à terre. Il ne veut pas prendre de congé, bien sûr que non : mais Jane a envie de rester en Angleterre pendant ce voyage. Aller un peu aux environs et voir des gens de sa famille. Jane était la femme du capitaine : une femme aimable au visage rond. George y renonce pour cette fois : mais Cloete ne lui donne pas de cesse. Il essaie encore : et le capitaine fronce les sourcils. Il les fronce d’etonnement. Il n’y comprend rien. Il ne lui est jamais venu à l’idée de vivre loin du Sagamore.

— Ah ! dis-je, maintenant je comprends.

— Non, pas du tout, grogna mon homme en tournant vers moi un regard sombre et dédaigneux.

— Je vous demande pardon, murmurai-je.

— Hum. Ça va bien. Le capitaine Harry prend un air rébarbatif et George se sent tout chiffonné au fond de lui-même… « Il lit dans mon esprit », se dit-il… Naturellement, il n’en était rien, mais George alors avait peur de son ombre. Il essaie en même temps de se dégager de Cloete. Il donne à entendre à son associé que son frère a à moitié l’idée de faire l’essai d’un séjour à terre, et ainsi de suite. Et Cloete attend en se rongeant les ongles : et dans quelle impatience ! Cloete avait