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Et le bungalow retomba dans un mortel silence jusqu’au lendemain matin où le mulâtre s’en vint dire que tout avait été fait. Les boys de la plantation étaient en train d’embarquer.

Par la porte entre-bâillée une main tendit au fidèle mulâtre une feuille de papier ; la porte se referma si vivement que Luiz fit un bond en arrière. S’approchant du trou de la serrure, il demanda d’un ton humble :

— Dois-je partir aussi, maître ?

— Oui, toi aussi, tout le monde !

— Le maître restera ici tout seul ?

Un silence. Les yeux du mulâtre s’élargirent d’étonnement. Mais, lui aussi, tout comme les « ignorants sauvages » de la plantation, n’était pas fâché de quitter cette île hantée par le revenant d’un homme blanc.

Il s’éloigna sans bruit du mystérieux silence qui régnait dans cette chambre close et ce ne fut qu’au seuil du bungalow qu’il donna cours à ses sentiments par un « tse, tse, tse » désapprobateur et attristé.


XII


Les Moorsom réussirent à ne pas manquer le paquebot, mais il ne purent rester que vingt-quatre heures en ville. Si bien que le sentimental Willie ne les vit guère. Cela ne l’empêcha pas de raconter longuement, plus tard, avec de nobles larmes dans les yeux, comment la pauvre miss Moorsom, cette élégante et spirituelle beauté, ne retrouva son fiancé à Malata que pour en recueillir le dernier soupir. Beaucoup de personnes furent très touchées de cette lamentable histoire. Cela fit le sujet de bien des conversations pendant des semaines.

Mais le rédacteur en chef qui savait tout, l’ami et le partisan unique de Renouard, voulut en savoir plus que les autres. Son incontinence professionnelle, peut-être, l’engageait à désirer posséder une coupe pleine d’émouvants détails. Lorsqu’il eut remarqué que la goélette de Renouard n’avait pas quitté le port de plusieurs jours, il s’en fut à la recherche du capitaine, pour en connaître la raison. Cet homme lui répondit que telles étaient ses instructions. Il avait reçu l’ordre de rester dans le port pendant un mois avant de retourner à Malata. Le mois touchait à sa fin.

— Je vous demanderai donc de me donner un passage, lui dit le journaliste.