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bien regarder à l’intérieur… « Il n’y a rien, dit l’homme. Vidés. On dirait qu’il en a retiré tout ce qu’il pouvait pour y mettre le feu. Fou, voilà ce qu’il y a eu, il est devenu fou. Et maintenant il est mort. Vous allez avoir à apprendre cela à sa femme… »

« Il me semble que je deviens fou moi-même », dit Cloete, soudain ; le patron le supplie pour l’amour de Dieu de se reprendre, et il l’arrache de la cabine. Il leur fallut abandonner le corps ; et même ainsi ils arrivèrent juste à temps avant qu’un grain furieux ne se déchaînât. Cloete est enlevé dans le canot ; le patron s’y laisse dégringoler. « Larguez le grappin, crie-t-il ; le capitaine s’est suicidé… »

Cloete était comme un mort, il ne prêtait attention à rien. Il se laisse pincer deux fois le bras par Stafford sans donner signe de vie. La plupart des gens de Westport s’étaient assemblés sur la jetée pour voir sortir les hommes du canot de sauvetage, et il y eut d’abord des acclamations confuses quand le canot aborda ; mais après que le patron eut crié quelque chose, les voix s’éteignent, et chacun devient très sérieux. Dès que Cloete a remis le pied sur la terre ferme, il se sent redevenir lui-même. Le patron lui serre la main : « Pauvre femme, pauvre femme ! je préfère que ce soit vous que moi… »

« Où est le second, demande Cloete, c’est le dernier qui ait parlé au capitaine ?… » On héberge l’équipage au Mission Hall, où il y avait du feu et des couchettes préparées. Quelqu’un courut le long de la jetée et rattrapa Stafford : « Eh ! là-bas, l’agent des armateurs vous demande… » Cloete prend le bras de l’homme sous le sien et l’emmène vers la gauche, du côté du port des barques de pêche. « Je ne suppose pas vous avoir mal compris. Vous désirez que je m’occupe un peu de vous », dit-il. L’autre se suspend à lui un peu mollement, mais il a un vilain petit rire. « Vous auriez mieux fait, murmure-t-il ; mais réfléchissez bien, pas de blague, M. Cloete, pas de blague ; nous sommes à terre maintenant ».

« Il y a un poste de police à cinquante mètres d’ici », dit Cloete. Il entre dans un bar, pousse Stafford dans le couloir. Le propriétaire sort de son comptoir en courant… « C’est le second du navire qui s’est échoué sur les rochers, explique Cloete. Je voudrais que vous ayiez soin de lui cette nuit… » « Qu’est-ce qu’il a ? » dit l’homme. Stafford s’adosse au mur du couloir, pâle comme un fantôme. Et Cloete dit que ce n’est rien, il n’en peut plus naturellement… « C’est moi qui paierai la dépense, je suis l’agent de l’armateur. Je reviendrai dans une heure ou deux pour le voir. »