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PRÉFACE.


ditions ; qui peut nier cependant que l’instinct secret de la civilisation ne s’accordât avec la foi religieuse pour armer contre les musulmans les forces réunies de l’Europe chrétienne ? Aujourd’hui que la victoire a couronné les longs efforts de la chrétienté, et que le souvenir de nos pères survit encore en Orient pour éclairer le nom français d’un reflet de gloire et de courage, nous serions mal venus à calomnier la mémoire de ceux qui nous ont légué un si bel héritage.

Puisque, par un consentement tacite et de l’aveu de tous, la France devait marcher au premier rang dans les croisades et y représenter l’Europe chrétienne, il était bien naturel aussi qu’elle fournit des historiens pour en perpétuer le souvenir dans sa propre langue. Mais, par un concours de circonstances tout à fait imprévues, il n’était pas réservé au plus ancien de tous ceux qui aient écrit en français de voir la Terre sainte, vers laquelle il croyait marcher quand il quitta la France en 1202. Ces croisés, qui s’étaient enrôlés pour conquérir Jérusalem, apprirent tout à coup qu’on les appelait à Constantinople pour renverser un tyran, et rendre à son souverain légitime le grand empire de Romanie. C’est là ce que Geoffroi de Ville-Hardouin appelle avec raison une des plus grandes merveilles et une des plus grandes aventures qu’on eût jamais ouïes. C’est là aussi ce qui donne à son livre un intérêt tout particulier. Tandis que nous avons pour les croisades en Terre sainte un grand nombre de récits, il est presque le seul qui ait raconté en détail l’histoire de la conquête de Constantinople. Cette histoire conservera toute son importance alors même qu’on la pourra comparer avec le récit contemporain de Robert de Clari en Amiénois, dont M. le comte Riant prépare la publication. Le chroniqueur picard a connu les incidents et les anecdotes de la guerre, il a combattu dans les rangs des pauvres chevaliers, il a été le témoin de leurs exploits et l’écho de leurs plaintes. Ville-Hardouin, qui hantait les chefs de l’expédition, qui était leur confident et leur agent, qui avait sa place dans leurs conseils, a connu les secrets de