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CONQUÊTE.

héros qui ſont les fondateurs de ces ſortes de Monarchies, & leur donnent des titres ſuperbes & magnifiques. Ils ne ſongent point aux Officiers ni aux ſoldats qui ont combattu ſous les enſeignes de ces héros, dans les batailles qu’ils ont gagnées, qui les ont aſſiſtés à ſubjuguer les pays dont ils ſe ſont rendus maîtres, & qui ont demandé part, & à la gloire, & à la poſſèſſion de ce qui a été conquis. Quelques-uns ont dit que la Monarchie Àngloiſe eſt fondée ſur la Conquête des Normands, & que par cette Conquête fameuſe les Rois d’Angleterre ont le droit de domination abſolue. Mais, quand cela ſeroit auſſi vrai, qu’il paraît faux par l’hiſtoire & que Guillaume auroit eu droit de faire la guerre à l’Angleterre ; la domination acquiſe par ſa Conquête n’auroit pu s’étendre que ſur les Saxons & les Bretons qui habitoient alors cette iſle. Les Normands qui vinrent avec ce héros dans l’eſpérance de la conquérir, & tous ceux qui ſont enſuite deſcendus d’eux, ont été des gens libres, & n’ont point été ſubjugués par la Conquête, quelque domination qu’on prétende qu’elle ait procurée. Que ſi quelqu’un allegue qu’il eſt homme libre, par la raiſon qu’il eſt deſcendu de ces Normands, il ſera fort difficile de prouver le contraire & ainſi il eſt viſible que les loix, qui n’ont point fait de diſtinction entre les perſonnes, n’ont établi entr’elles aucune différence à l’égard de la liberté & des privileges.

Mais ſuppoſant ici, ce qu’on voit arriver rarement, que les conquérans & les conquis ne viennent point à ſe joindre en ſociété, à compoſer un corps politique & à vivre ſous les mêmes loix & avec la même liberté voyons quelle ſorte de pouvoir un légitime conquérant acquiert ſur ceux qu’il a ſubjugués, & ſi c’eſt un pouvoir purement deſpotique. Certainement, il a un pouvoir abſolu ſur la vie de ceux, qui par une injuſte guerre, ont perdu le droit qu’ils y avoient ; mais non ſur la vie ou ſur les biens de ceux qui n’ont point été engagés dans la guerre ni même ſur les poſſeſſons de ceux qui y ont été actuellement engagés.

En ſecond lieu, je dis qu’un conquérant n’acquiert du pouvoir, que ſur ceux qui ont actuellement aſſiſté ſes ennemis dans une guerre injuſte, & ont effectivement concouru & conſenti à l’injuſte violence dont on a uſé envers lui. En effet, le peuple n’ayant point donné à ſes conducteurs le pouvoir de rien faire d’injuſte par exemple d’entreprendre une injuſte guerre (hé, comment pourroit-il leur donner un pouvoir & un droit qu’il n’a point) il ne doit pas être chargé & regardé comme coupable de la violence qu’on a employée dans une guerre injuſte, qu’autant qu’il paroît l’avoir excitée ou fomentée il ne doit pas être cenſé plus coupable d’une guerre de cette nature, qu’il doit l’être de la violence & de l’oppreſſion dont auroient uſé ſes conducteurs envers lui-même ou envers une partie de leurs ſujets ; ne les ayant pas plus autoriſés à un égard, qu’à l’autre. Les conquérans à la vérité, ne ſe mettent guere en peine de faire ces ſortes de diſtinctions ; au contraire ils ne ſe plaiſent qu’à confondre tout dans