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Je le répète : il faut que les anarchistes aillent dans les unions ouvrières. D’abord pour y faire de la propagande anarchiste : ensuite parce que c’est le seul moyen pour nous d’avoir à notre disposition, le jour voulu, des groupes capables de prendre en mains la direction de la production, nous devons y aller enfin pour réagir énergiquement contre cet état d’esprit détestable qui incline les syndicats à ne défendre que des intérêts particuliers.

L’erreur fondamentale de Monatte et de tous les syndicalistes révolutionnaires provient, selon moi, d’une conception beaucoup trop simpliste de la lutte de classe. C’est la conception selon laquelle les intérêts économiques de tous les ouvriers — de la classe ouvrière — seraient solidaires, la conception selon laquelle il suffit que des travailleurs prennent en mains la défense de leurs intérêts propres pour défendre du même coup les intérêts de tout le prolétariat contre le patronat. La réalité est, selon moi, bien différente.

Les ouvriers, comme les bourgeois, comme tout le monde, subissent cette loi de concurrence universelle qui dérive du régime de la propriété privée et qui ne s’éteindra qu’avec celui-ci. Il n’y a donc pas de classes, au sens propre du mot, puisqu’il n’y a pas d’intérêts de classes. Au sein de la "classe" ouvrière elle-même, existent, comme chez les bourgeois, la compétition et la lutte. Les intérêts économiques de telle catégorie ouvrière sont irréductiblement en opposition avec ceux d’une autre catégorie. Et l’on voit parfois qu’économiquement et moralement certains ouvriers sont beaucoup plus près de la bourgeoisie que du prolétariat. Cornélissen nous a fourni des exemples de ce fait pris en Hollande même. Il y en a d’autres. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que, très souvent, dans les grèves, les ouvriers emploient la violence... contre la police ou les patrons ? Non pas : contre les kroumirs[1] qui pourtant sont des exploités

  1. En Italie et en Suisse, on appelle ainsi les jaunes, ceux qui travaillent en temps de grève.