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caractère qu’un peintre se puisse servir pour expliquer le sujet de son tableau, il se rencontre toujours des interprètes grossiers ou mal intentionnés qui entreprendront d’altérer ou d’obscurcir la vérité de toutes choses, et le peintre qui voudroit satisfaire l’ignorance des uns, ou prévenir la malice des autres, seroit à la fin obligé d’écrire dans son tableau le nom des objets qu’il y auroit représentés.

On fit encore réflexion sur ce que M. de Champaigne avoit dit que la laideur des chameaux auroit même servi à relever l’éclat de tant de belles figures, et que toutes les choses du monde ne paroissent jamais tant que lorsqu’elles sont opposées à leurs contraires. On combattit l’objection en disant qu’il étoit vrai que les choses ainsi opposées paroissent beaucoup, mais qu’il n’étoit pas vrai qu’elles en parussent plus à propos ni avec plus de symétrie. En effet, si, pour rendre la vertu plus aimable et plus éclatante, il la falloit opposer ou comparer au vice, il s’ensuivroit que les hommes de probité ne pourroient jamais être dans une véritable splendeur que lorsqu’ils seroient confrontés à des scélérats ; ainsi il sembleroit que le bien ne se pourroit passer du mal, et que la vertu seroit redevable au vice de tout ce qu’elle a de brillant. Et quand, pour soutenir le même axiome, M. de Champaigne a dit que M. Poussin n’auroit pu former les beautés du tableau de Rébecca sans le secours des ombres, il a dit vrai, et n’a rien prouvé qui lui soit favorable, car les ombres et les jours sont des parties relatives et réciproques, toutes deux essentielles dans la peinture, qui en cela et en toute autre chose veut imiter les effets naturels, et si, selon la maxime qu’on venoit d’alléguer, on vouloit faire un tableau où les ombres n’accompagnassent pas la lumière, il faudroit renverser l’ordre de la nature qui a rendu ces deux accidents inséparables. Ainsi les ombres ne doivent pas être considérées comme l’ornement d’un tableau, mais comme une nécessité absolue, quoiqu’il soit vrai que leur judicieuse économie est un des plus grands secrets de l’art.

Mais enfin, pour vider la question à l’avantage de M. Poussin, on considéra qu’en homme savant il avoit encore autorisé le tableau de Rébecca, par le texte de l’Écriture sainte, parce que la Genèse marque expressément que Rébecca ayant donné à boire au serviteur d’Abraham, courut au puits une seconde fois