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d’érudition pour avoir ignoré ce trait de l’histoire sacrée ; ce qui engagea M. le Brun à dire que les chameaux n’avoient pas été retranchés de ce tableau sans une solide réflexion : que M. Poussin, cherchant toujours à épurer et à débarrasser le sujet de ses ouvrages et à faire paroître agréablement l’action principale qu’il y traitoit, en avoit rejeté les objets bizarres qui pouvoient débaucher l’œil du spectateur et l’amuser à des minuties ; que le champ du tableau n’est destiné que pour les figures nécessaires dans le sujet et pour celles qui sont capables d’une expression ingénieuse et agréable, de sorte qu’il n’avoit pas dû être occupé par une suite de chameaux, aussi ingrate pour le travail qu’embarrassante par le nombre, car la Genèse fait mention de dix chameaux, et s’il avoit fallu traiter le sujet avec la fidélité et l’exactitude que les critiques prétendent, on en devoit ponctuellement mettre dix et faire une caravane complète ; que M. Poussin faisoit souvent réflexion sur ce mélange incompatible et disoit pour maxime, que la peinture aussi bien que la musique a ses modes particuliers, et que, dans la proportion harmonique des anciens, le mode phrygien destiné pour les airs militaires n’entroit jamais dans le dorien qui étoit affecté au culte divin, et jamais le mode ionien, entrecoupé de fredons, ne se mêloit avec l’éolien qui étoit simple et naturel, chaque mode ayant ses règles propres qui ne se confondoient point l’une avec l’autre ; que sur cet exemple, M. Poussin, ayant considéré les espèces particulières des sujets qu’il traitoit, y supprimoit les objets qui, à force d’être dissemblables, y auroient été difformes, et il les regardoit comme de légères circonstances qui, étant retranchées, ne faisoient aucun préjudice à l’histoire. Il disoit que la poésie en usoit ainsi et ne permettoit pas que dans un même sujet l’expression aisée et familière du poème comique se mêlât avec la pompe et la gravité de l’héroïque. M. le Brun ajouta encore aux remarques de M. Poussin que la poésie évitoit même le récit des actions bizarres dans un ouvrage sérieux, et qu’un excellent poète de notre temps, décrivant le combat d’Alexandre contre Porus, avoit retranché de sa narration que Porus étoit alors monté sur un éléphant, de peur que, faisant mention d’une espèce de monture rejetée de nos escadrons, il n’effarouchât l’oreille de ses auditeurs, et que la matière principale ne fût