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grands avantages sur nous, parce que leur pays produisoit ordinairement des personnes mieux faites que le nôtre, et leur fournissoit de plus beaux modèles ; qu’ils portoient des habits qui ne leur gênoient point le corps et ne gâtoient rien à la forme des parties apparentes ; que même ces habits ne leur couvroient le corps qu’à demi, ce qui donnoit la commodité à leurs peintres et à leurs sculpteurs d’en mieux observer les beautés ; que, pour plus de facilité, ils avoient incessamment devant leurs yeux de jeunes esclaves presque tous nus, outre les athlètes robustes et bien faits dont les spectacles fréquents donnoient à ces excellents ouvriers une ample matière d’étude et de perfection.

M. le Brun ayant fini de la sorte, M. de Champaigne avoit repris la parole et revenoit à la figure de fille qui est appuyée sur son vase. Il disoit que les autres figures de filles qui font groupe avec celle-là expriment sur leur visage un sourire mêlé de fierté et de dépit, comme si elles étoient jalouses de voir qu’on leur préfère Rébecca. Il y en a une vêtue de vert et de rouge, dont l’embarras est remarquable. Elle regarde ce qui se passe entre Rébecca et le serviteur d’Abraham, sans songer qu’elle verse de l’eau à une de ses compagnes, qui, ayant déjà sa cruche pleine, semble reprocher à cette personne distraite qu’elle ne prend pas garde à ce qu’elle fait. Les grâces et la force de l’expression paroissent encore sur trois ou quatre figures de filles qui sont plus reculées. Une d’entre elles tient sa cruche sur sa tête avec ses deux mains et regarde Rébecca avec toute l’attention d’une personne curieuse. Une autre, appuyée sur l’épaule d’une de ses compagnes qu’on ne voit que par le dos, semble en appeler une troisième dont l’attitude mérite d’être admirée, car, ayant déjà un de ses vases sur la tête, elle se montre attentive à ce qui se passe et se baisse en étendant la main pour prendre l’autre vase qui est à terre, se faisant voir dans une action si naturelle, si aisée et si bien exprimée, qu’elle semble avoir épuisé toute l’industrie du pinceau. Cette troupe de filles se retire ou se dispose à se retirer, soit que le dépit les chasse de là, ou que leur devoir les rappelle chez elles.

M. de Champaigne ajoutoit que la distribution des couleurs, des lumières et des ombres est traitée judicieusement