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L’on voit dans cette autre figure qui s’avance pour regarder l’aveugle, que son esprit et sa raison n’agissent pas tant à considérer la grandeur de celui qui guérit, que font ses yeux à remarquer ce qui se passe. Aussi la physionomie de cet homme ne paroît pas fort spirituelle : il a la tête grosse, mais chargée de chair, ce qui n’est pas la marque d’un homme d’esprit.

L’autre figure, qui tient le dernier aveugle, a la mine fort rustique : et pour les trois apôtres, ils ont des airs de visage très différents. Il y a toute sorte d’apparence, comme il a été dit, que M. Poussin a voulu représenter saint Jean, saint Pierre et saint Jacques qui étoient comme les trois favoris de Notre Seigneur, et ceux qui l’ont toujours accompagné dans les occasions où il a plus fait éclater sa gloire et sa puissance. Celui des trois qui est vêtu de jaune peut être pris pour saint Jacques, l’on ne voit son visage que de profil : mais il y a un certain air et une joie qui découvre le plaisir qu’il reçoit, voyant ces pauvres aveugles s’approcher de son Maître avec une foi si grande. Pour saint Jean qui est un jeune homme vêtu de rouge, il semble qu’il regarde avec compassion et dédain tout ensemble ce vieillard qui est si fort attaché à considérer les yeux de l’aveugle, et qu’il observe l’effet que ce miracle va faire dans cette âme incrédule et curieuse. L’on voit sur le visage de ce même saint des marques véritables de cet amour et de cette pureté qui l’ont rendu le bien-aimé du Fils de Dieu ; et soit que l’on regarde la sérénité de son front, ou que l’on considère la grandeur et la vivacité de ses yeux, ou enfin que l’on observe cette couleur de chair si belle et si fraîche, il n’y a rien qui ne représente la bonté de son tempérament et la pureté de son âme.

Quant à saint Pierre, quoiqu’on ne voie que le haut de sa tête chauve et un de ses yeux, l’on découvre pourtant dans cet œil et dans son sourcil quelque chose qui témoigne son indignation contre ce peuple si endurci.

Ce que l’on peut ajouter à ce que M. Bourdon a dit des couleurs et des lumières qui servent à faire fuir ou avancer les figures, c’est que non seulement toutes les couleurs des vêtements sont amies les unes des autres, mais aussi que les figures sont disposées de telle sorte qu’on ne voit pas qu’une partie