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Que M. Poussin étoit assez savant dans la disposition d’un ouvrage, pour ne pas cacher les figures principales de son tableau parmi une plus grande quantité de personnes qu’il auroit représentées, n’étant pas difficile à cet excellent homme de faire en sorte qu’il parût beaucoup de monde à la suite du Messie sans gâter son sujet, dont la multitude même doit faire partie aussi bien que dans celui de la manne, qu’il a si dignement traité.

Mais aussi qu’il regardoit ce tableau d’une autre façon, et ne trouvoit pas que M. Poussin fût coupable de ces manquements qu’on lui pourroit attribuer, parce qu’il ne juge pas qu’il ait voulu représenter ici le miracle arrivé auprès de Jéricho mais bien celui dont il est parlé dans saint Matthieu au chapitre ix, lorsque Jésus-Christ, après avoir ressuscité la fille du prince de la synagogue et s’en retournant, fut suivi par deux aveugles auxquels il ne donna la vue que quand il fut arrivé chez lui.

Sur cela, M. Bourdon interrompant celui qui parloit, dit qu’il n’y a nulle apparence qu’on ait voulu représenter ici les aveugles que l’évangéliste nomme les premiers, puisqu’ils furent guéris dans la maison même où logeoit Jésus-Christ, et que ceux qui sont peints dans ce tableau sont au milieu du chemin. De plus, que la ville de Jéricho est si bien figurée par la beauté des bâtiments qu’on voit dans ce tableau et par les eaux de cette signalée fontaine qui paroît au pied des maisons, qu’il n’y a pas lieu de douter que ce ne soit le même miracle qui arriva dans ce pays-là dont l’on ait eu dessein de faire une fidèle représentation.

Qu’outre cela, quand Notre Seigneur fit le premier miracle il n’y avoit aucun témoin, ayant même défendu à ces aveugles d’en parler à personne.

Celui qui étoit de l’avis contraire repartit, que si le texte de l’Écriture porte que Jésus-Christ les guérit lorsqu’il fut arrivé à la maison, ce n’est pas déterminer absolument que ce fût dans une chambre, ni même dans la cour, mais seulement lorsqu’il fut arrivé chez lui : car c’est une manière de parler assez ordinaire de dire qu’une personne en reconduit une autre jusque chez lui et à sa maison, bien qu’il ne passe pas la porte ; et même dans le texte selon la Vulgate, il y a :