Page:Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture.pdf/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et une facilité dans l’ordonnance et la disposition des figures, une beauté et une force dans la proportion et les parties du dessin, et une conduite judicieuse dans l’arrangement des couleurs et la dispensation des lumières. Qu’il dépend de l’excellence de son génie et de sa grande capacité de bien exécuter ces parties dont il est absolument le maître et qui appartiennent généralement à tous les ouvrages de peinture. Mais que, quand il s’agit d’exposer une histoire aux yeux de tout le monde, il y a des circonstances qu’un peintre ne peut changer sans se mettre au hasard qu’on y trouve à redire, principalement dans celles où il doit paroître le fidèle historien de quelque événement qui s’est passé de nos jours ou dans les temps les plus éloignés. Mais surtout dans ce qui regarde les mystères de notre religion et les miracles de Jésus-Christ, il doit conserver toute la fidélité possible et jamais ne s’écarter de ce qui passe pour constant et qui est déjà connu de beaucoup de monde ; car en cette rencontre, entreprenant d’enseigner par les traits de son pinceau ce qu’un historien rapporte dans ses écrits, il ne doit rien ajouter ni diminuer à ce que l’Écriture nous oblige de croire, mais plutôt marquer autant qu’il le peut toutes les circonstances de son sujet.

De sorte qu’encore que M. Poussin n’ait rien changé de ce qui regarde l’action particulière de Jésus-Christ qui guérit ces deux aveugles, l’on ne peut pas dire néanmoins que son ouvrage ne fût plus parfait, s’il eût représenté tout ce qui peut servir à faire connoître davantage de quelle façon ce miracle arriva : comme de voir la multitude du peuple qui suivoit Jésus-Christ, l’empressement des aveugles parmi cette foule de gens dont quelques-uns les empêchoient d’approcher, ainsi qu’il est expressément marqué dans l’évangile.

Qu’il semble que Dieu ayant voulu faire ce miracle à la vue d’un grand nombre de juifs, afin qu’en donnant la lumière à ces aveugles, cela servît en même temps à éclairer ce peuple enseveli dans les ténèbres du péché, il ne permît aussi que ces aveugles le suivissent si longtemps et redoublassent leurs cris, jusques à se rendre importuns à toute la multitude, que pour rendre leur guérison plus publique, et la faire éclater davantage, particularités assez dignes de remarque et très essentielles dans la représentation de ce miracle pour le distinguer des autres.