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jours et des ombres, et comment il savoit parfaitement augmenter par leur moyen la force, la beauté et la grâce de tous les corps qu’il représentoit. Il suppose que Jésus-Christ et ceux qui l’accompagnent sont dans une place découverte de tous côtés, où il ne se trouve aucun obstacle qui les prive des rayons du soleil, de sorte qu’ils en sont fortement éclairés. Mais cette force de lumière est si judicieusement distribuée, qu’encore qu’elle se répande également sur tous, ce savant peintre néanmoins a si bien su l’affoiblir à mesure que chaque corps s’éloigne, qu’il n’y en a point où elle ne diminue autant qu’il est nécessaire pour bien faire connoître quel est son éloignement.

Il fit encore voir comment pour donner plus de rondeur à ces mêmes corps et tromper la vue avec plus d’adresse, M. Poussin a ménagé la force des ombres et de quelle sorte il s’est servi des demi-teintes et des reflets de lumière, sans qu’il paroisse trop d’affectation dans sa conduite car ces figures sont dans une posture si libre, que toute la disposition en est aisée et les lumières très naturelles. Et, quoique le soleil frappe avec beaucoup de force les parties qu’il éclaire, l’on ne voit pas pourtant qu’il y ait des reflets de lumière qui fassent de mauvais effets, parce que toutes les figures sont placées de telle sorte que les couleurs ne peuvent se réfléchir les unes contre les autres.

Le premier aveugle qui apparemment pourroit recevoir un réfléchissement de lumière très considérable, à cause de la robe du Christ qui est fort éclairée, n’en est pourtant pas trop illuminé ; car le peintre a eu la discrétion de le mettre dans une certaine disposition qui ne peut recevoir une seconde clarté trop sensible, et l’on voit que les reflets qui se rencontrent dans toutes les figures viennent seulement de la lumière universelle dont tous les objets qui les environnent sont illuminés, laquelle leur donne des teintes bien plus douces et plus naturelles que quand elles sont causées par des couleurs fortes et vives qui en sont proches. Cependant on ne laisse pas d’apercevoir quelques parties éclairées de reflets assez forts, mais ce sont des parties qui semblent demander ce secours particulier, parce qu’elles en tirent beaucoup de grâce et de beauté, comme l’on peut remarquer dans la main avec laquelle Jésus-Christ soutient son manteau.