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dans une même attitude, parce que l’un et l’autre ont une même intention, et l’on voit par l’empressement qu’ils ont à recueillir cette divine rosée, qu’ils sont de ceux qui par une prévoyance inutile tâchoient d’en faire une trop grande provision.

M. le Brun fit encore remarquer comme une des belles parties de ce tableau ce groupe de figures qui paroit devant Moïse et Aaron, dont les uns à genoux et les autres dans une posture humiliée, ont des vases pleins de manne, et semblent remercier le prophète du bien qu’ils viennent de recevoir. Il montra que Moïse, en levant le bras et les yeux en haut, leur enseigne que c’est du ciel qu’ils reçoivent ce secours ; et qu’Aaron, qui fait l’office de grand prêtre, en joignant les mains, leur sert d’exemple pour rendre grâce à Dieu.

Il fit observer que les autres figures qui sont derrière Moïse regardent en haut, et remercient le Seigneur des biens qu’il répand sur elles. Ce sont les plus anciens et les sages des Israélites qui ont une connoissance plus particulière des miracles que Dieu opère par l’entremise de son prophète.

Entre les figures qui sont proches de Moïse et qui l’écoutent, il y a une femme qui, par son action, fait remarquer sa curiosité ; car, comme elle entend dire que c’est du ciel que cette nourriture leur est envoyée, elle regarde en haut et, pour mieux voir et se défendre de la trop grande lumière qui l’éblouit, elle met sa main au-devant du jour, comme si de ses yeux elle vouloit pénétrer jusque dans la source d’où sortent ces biens.

Outre toutes ces belles expressions, il fit considérer encore comment M. Poussin a bien vêtu ses figures, et c’est en quoi l’on peut dire qu’il a toujours excellé. Les habits qu’il leur donne sont des habits effectifs, et qui les couvrent entièrement, ne faisant pas comme d’autres peintres qui les jettent au hasard, ou qui ne cachent le corps qu’avec des lambeaux qui n’ont aucune forme de vêtement. Dans les tableaux de ce grand maître, il n’en est pas de même ; comme il n’y a point de figure qui n’ait un corps sous ses habits, il n’y a point aussi d’habit qui ne soit propre à ce corps, et qui ne le couvre bien. Mais il y a encore cela de plus qu’il ne fait pas seulement des habits pour cacher la nudité, et n’en prend pas de toutes