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soit pour faire enfoncer les parties les plus reculées, soit pour faire avancer les plus proches, et encore pour produire cette douceur et cette union qui est si admirable dans les œuvres de ce peintre.

Il montra l’artifice dont il s’est servi pour mieux faire paroître les jours et les ombres ; et l’Académie, faisant voir certaines échappées de lumières et certains éclats dans le ciel qui sont auprès du saint Jean et aux environs de la tête et des bras du Christ, et qui, étant d’une teinte obscure, font davantage paroître la lumière du ciel et la force du jour, fit considérer que cette clarté, qui vraisemblablement doit s’approcher davantage et venir frapper les yeux, est néanmoins si bien mise en sa place, que les autres corps plus bruns ne laissent pas de s’avancer, et que ces jours demeurent derrière dans leur lieu naturel. D’où l’on peut apprendre que, quand les couleurs sont bien traitées, le clair et le brun demeurent tantôt loin et tantôt proche, et que c’est la manière de disposer le sujet, les jours et les ombres, qui contribue encore à la force et à l’affoiblissement des couleurs, et qui sert beaucoup à faire fuir ou avancer les corps.

Enfin chacun demeura d’accord que, pour ce qui regarde cette partie de la peinture, Titien est celui qu’on doit imiter ; et que dans ses tableaux il faut particulièrement considérer de quelle sorte il ménage la force des couleurs pour faire que les ombres et les demi-teintes des unes fassent davantage paroître les grands clairs des autres, mais surtout avec quelle industrie il sait si bien relever l’éclat des lumières, et en faire la plus grande beauté de son tableau, sans néanmoins qu’une partie efface les autres, ni qu’une couleur bien vive diminue celles qui le sont moins.

Quelques-uns voulurent examiner dans cet ouvrage les parties du dessin où ils trouvoient à redire, particulièrement dans la figure de saint Jean et dans celle du Christ. Ils montraient que l’une étoit trop petite, et l’autre trop grande à proportion des autres figures, et blâmoient Titien d’avoir représenté dans une obscurité si grande la tête du Christ, et la moitié de son corps qui vraisemblablement devoit être la figure la plus éclairée, et qui parût davantage, puisque c’est le principal objet qu’on doit considérer dans ce tableau.