Page:Condillac - Essai sur l’origine des connaissances humaines, Mortier, 1746, tome 1.djvu/225

Cette page n’a pas encore été corrigée

de ses idées est grande, plus il y a lieu de croire que quelqu’une aura occasion de se réveiller, d’exercer son attention, & de le retirer de cet assoupissement. Par conséquent moins on a d’idées, plus cette léthargie doit être ordinaire. Qu’on juge donc si pendant vingt-trois ans que ce jeune homme de Chartres fut sourd & muet, son ame put faire souvent usage de son attention, de sa réminiscence & de sa réflexion.

§. 17. Si l’exercice de ces premieres opérations étoit si borné, combien celui des autres l’étoit-il davantage ? Incapable de fixer & de déterminer exactement les idées qu’il recevoit par les sens, il ne pouvoit ni en les composant, ni en les décomposant se faire des notions à son choix. N’ayant pas des signes assez commodes pour comparer ses idées les plus familieres, il étoit rare qu’il formât des jugemens. Il est même vraisemblable que pendant le cours des vingt-trois premieres années de sa vie, il n’a pas fait un seul raisonnement. Raisonner, c’est former