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L'OBSCURE SOUFFRANCE

Ma tante a maintenant l’âge qu’avait ma mère quand je l’ai perdue. La ressemblance, assez vague autrefois, s’est accentuée. Cette longue intimité a fortifié son affection. La sollicitude dont elle m’entoure m’est bien douce. Je souffre de l’attrister. Je souffre de quitter cette maison, où tout me plaît, où j’aimerais tant vivre, où les jours coulent si doux, si légers.

Mais je n’oublie pas la parole du Maître : Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il marche.

C’est la parole éternelle. L’aurais-je trouvée dure, si je l’avais reçue de Jésus-Christ lui-même ?… Si j’avais entendu sa voix divine, si j’avais vu dans ses yeux l’appel tendre, suppliant, m’en coûterait-il de le suivre ?… Il me semble que non. Mais c’est dans l’obscurité de la foi que je dois peiner. La vie qui m’attend m’apparaît dans sa réalité brutale et j’en ai dégoût, j’en ai frayeur.

Jusqu’où ira le sacrifice ? Je ne dois pas y songer. Il faut m’oublier et aujourd’hui je ferme mon cahier pour toujours. L’incompréhensible sérieux de la vie humaine[1] s’accommode

  1. Bossuet