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— Je crois que le cœur a des besoins que Dieu seul contente… Voilà pourquoi, malgré tout, les saints sont les heureux de ce monde.

— Vous avez de singulières notions sur le bonheur de ce monde, il me semble.

— Pas si singulières que vous pensez, répondit-il en riant. Sans doute, les saints vivent de renoncement : mais un sacrifice offert à Dieu donnera toujours mille fois plus de jouissances que n’en eût donné la chose sacrifiée… C’est saint Louis de Gonzague qui a dit cela, et saint François-Xavier trouvait les hommes bien aveugles de ne pas comprendre qu’en refusant de mortifier leurs désirs naturels, ils se privaient du plus grand bonheur de la vie.

— C’est trop fort pour moi, s’écria-t-elle. Il me semble que Dieu, comme un bon père, aime à nous voir jouir des biens qu’il nous a donnés. Non, je ne crois pas qu’il veuille qu’on renonce à ce qui fait la douceur et le charme de la vie.

— D’ordinaire, non sans doute : mais vous le savez, Gisèle, heureux et mille fois plus heureux qu’on ne saurait dire, ceux à qui il redemande tout.

Gisèle ne répondit rien.

Une clarté inexorable se faisait dans son esprit, et toutes les espérances qu’elle avait tâché de conserver lui échappaient.