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près les nombres des faits constatés, et la grandeur des écarts qui resteront encore entre leurs rapports, le calcul fournira des règles certaines pour déterminer la probabilité que la valeur spéciale vers laquelle ces rapports convergent est comprise entre des limites aussi resserrées qu’on voudra. Si l’on fait de nouvelles expériences, et si l’on trouve que ces mêmes rapports s’écartent notablement de leur valeur spéciale, déterminée par les observations précédentes, on en pourra conclure que les causes dont les faits observés dépendent, ont éprouvé une variation progressive, ou même quelque changement brusque, dans l’intervalle des deux séries d’expériences. Toutefois, sans le secours du calcul des probabilités, on risquerait beaucoup de se méprendre sur la nécessité de cette conclusion ; mais ce calcul ne laisse rien de vague à cet égard, et nous fournit aussi les règles nécessaires pour déterminer la chance d’un changement dans les causes, indiqué par la comparaison des faits observés à différentes époques.

» Cette loi des grands nombres s’observe dans les événements que nous attribuons à un aveugle hasard, faute d’en connaître les causes, ou parce qu’elles sont trop compliquées. Ainsi, dans les jeux où les circonstances qui déterminent l’arrivée d’une carte ou d’un dé, varient à l’infini et ne peuvent être soumises à aucun calcul, les différens coups se présentent cependant suivant des rapports constants, lorsque la série des épreuves a été long-temps prolongée. De plus, lorsqu’on aura pu calculer d’après les règles d’un jeu, les probabilités respectives des coups qui peuvent arriver, on vérifiera qu’elles sont égales à ces rapports constants, conformément au théorème connu de Jacques Bernouilli. Mais dans la plupart des questions d’éventualité, la détermination à priori des chances des divers événements est impossible, et ce sont, au contraire, les résultats observés qui les font connaître : on ne saurait, par exemple, calculer d’avance la probabilité de la perte d’un vaisseau dans un voyage de long cours ; on y supplée donc par la comparaison du nombre des sinistres à celui des voyages : quand celui-ci est très grand, le rapport de l’un à l’autre est à peu près constant, du moins dans chaque mer et pour chaque nation en particulier ; sa valeur peut être prise pour la probabilité des sinistres futurs ; et c’est sur cette conséquence naturelle de la loi des grands nombres, que sont fondées les assurances maritimes. Si l’assureur n’opérait que sur un nombre peu considérable d’affaires, ce serait un simple pari, qui n’aurait aucune valeur sur laquelle il pût compter ; s’il opère sur de très grands nombres, c’est une spéculation dont le succès est à peu près certain.