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BRACONNIERS

ainsi la fosse au saumon du côté ouest. En comptant les détours, j’avais à faire deux milles de vilaine marche, à travers un terrain marécageux, pour arriver à la rivière.

Je m’approchai prudemment du bord de l’eau, et, jetant un coup d’œil à travers les branches, j’aperçus un Indien assis sur le haut de la côte, surveillant la rivière et en fumant sa pipe. Je commençai à avoir l’espoir de quelque succès.

Je me hâtai de franchir le bois pour arriver du côté est à un sentier que je grimpai à toutes jambes. Ce sentier se terminait au pied d’une falaise escarpée dans une anse de petite dimension. Je m’y déshabillai et je me jetai à la nage, emportant sur ma tête, les quelques vêtements légers que j’avais endossés ce jour-là. J’eus tôt fait de franchir le quart de mille qui me restait pour arriver à la dernière fosse au pied de la chute. Dans la chute elle-même, qui n’était qu’une série de cascades, il y avait des trous profonds appelés pots et dans lesquels le saumon se repose dans sa montée. Me glissant tout doucement sur une saillie des rochers, je vis William, harpon en main, guettant sur le bord d’un pot l’apparition d’un saumon. Sur les roches tout près, gisaient deux saumons qui avaient été harponnés.

J’étais à quinze pas de lui. Un saumon surgit dans les eaux bouillonnantes. Le harpon lancé, gagna le fond ; un saumon se débattit un peu, puis s’échappa. Il l’avait dardé trop près de la queue.

Lui adressant tranquillement la parole en montagnais :

— Tu as la vue mauvaise, William, lui dis-je.

Il se retourna comme s’il eût reçu un coup de fusil. Sa surprise fut telle, que je crus qu’il allait tomber à l’eau. Il me regarda avec des grands yeux, absolument incapable d’articuler un mot.