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mêlés. Les Français, mes contemporains, savent bien qu’en dire. » (T. IV, p. 70, 71, 74.)

Ainsi La Boëtie, en ne voyant que l’absolu, prétend que Brutes et Cassius, meurtriers de César, sauvèrent la liberté ; et Montaigne, en s’appuyant de l’expérience, affirme qu’ils la perdirent. « Non, non, s’écrie-t-il, ce n’est ceci ou cela qui fait les tyrans ; ce sont les nouvelletés et mutations (autrement dit les révolutions). Ce sont elles qui donnent seules forme à l’injustice, et à la tyrannie. » Le moyen d’éviter les tyrans, c’est d’éviter les révolutions qui infailliblement les amènent : voilà sa conclusion.

Mais alors, il n’y a qu’à garder toujours le même gouvernement, à s’y enfermer, à s’y blottir comme dans l’arche sainte, et à n’y jamais toucher pas plus qu’à une vieille et auguste relique, qui s’en irait en poudre en l’effleurant du bout des doigts ? Montaigne a prévu notre objection, car il y a plus d’unité de vues ou plus d’entêtement qu’on ne pense, dans ces simples études comme il dit, où il nous donne tous les accidents, tous les caprices de sa pensée. Il a prévu notre objection, et nous serons contents de sa réponse : nulle part, il n’est plus énergique et plus éloquent. « Quand quelque pièce se démanche du vieil édifice, dit-il, on peut l’étayer ; on peut s’opposer à ce que l’altération et la corruption, naturelle à toutes choses, ne nous éloignent trop de nos commencements et principes. Mais d’entreprendre à refondre une si grande masse, à changer les fondements d’un si grand bâtiment, c’est à faire à ceux qui, pour décrasser, effacent ; qui veulent amender les défauts particuliers par une confusion générale, et guérir les maladies par la mort. » (T. IV, p. 70.)

Il y a plus, et Montaigne ne nous quitte pas de sitôt, puisque nous l’avons mis sur ce terrain des changements et remuements. Il va nous dire pourquoi on les désire, et quel bien on en attend ; c’est un passage très connu. « Allons, allons ! dit-il aux novateurs, vous voulez emporter ce qui vous mache. Mais ceux qui donnent le branle à un État, sont volontiers absorbés en sa ruine. Le fruit du trouble ne