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(t. II, p. 507), qui soit universellement reçue par toutes les nations. » Et il poursuit, de la manière suivante : « Que mangez-vous là et quel repas que le vôtre, disaient les Grecs d’Alexandre aux doctes habitants de l’Inde et du Gange ? Vous mangez vos parents trépassés, et vos brahmanes se disent des sages ? — Oui, nous faisons passer leur chair dans la nôtre, et notre corps est leur tombeau. — Mais c’est horrible. — Et vous, vous les brûlez, comme on brûlerait des coupables ; c’est plus horrible encore. »

Montaigne en concluait que chacun a ses raisons pour défendre ses coutumes, et que les mœurs d’un peuple ont leur raison ; que tout ce qui est loi positive est variable, incertain, changeant ; qu’il n’y avait même de certain, dans les lois, que l’incertitude. Ce qui se passait en France, de son temps, et qui dura jusqu’à sa mort, arrivée en 1592, un an avant la conversion d’Henri IV, n’était pas fait pour lui ôter cette idée. On ne voyait qu’agitations, conflits, guerres civiles et religieuses, invasion. On s’égorgeait dans les rues, on dressait des barricades ; Paris soutenait un siège affreux plutôt que de reconnaître Henri de Navarre ; on ne voulait qu’Henri de Guise ou le Balafré, candidat des ligueurs et de l’Espagne, et si Henri IV ne se convertissait pas, tout s’apprêtait pour cette usurpation déplorable. Montaigne lui-même, le savant et pacifique Montaigne, était enfermé à la Bastille, par les Ligueurs, pour s’être mêlé de quelque négociation en faveur d’Henri IV[1],

  1. C’était en 1588 ; et à ce propos ce sont élevées bien des discussions sur le rôle et l’influence politique de Montaigne pendant la Ligue. M. Grün, dans un travail, intitulé : Vie publique de Montaigne, soutient que ce rôle a été très efficace, très actif, au point de vue des intérêts du roi de Navarre. M. Villemain, qui avait bien quelque autorité et dont « l’éloge de Montaigne » avait été couronné par l’Académie française, prétendait au contraire que ce fut insignifiant, et qu’on n’est pas un grand négociateur politique, parce qu’on aborde des princes, qu’on soit déguisé en chevalier de Saint-Michel ou en moine. Ce déguisement indiquait pourtant une intention, sinon un effet. « Oui, oui, répondit un savant bordelais, M. le Vte  Alexis de Gourgues, oui, Montaigne eut de l’influence. Il travailla à une grande affaire, à la réconciliation du roi de Navarre et du jeune duc de Guise. »

    On peut voir toutes ces discussions en 1853, dans le Journal des Savants pour M. Villemain ; dans les Actes de l’Académie de Bordeaux, pour M. de Gourgues.

    De nos jours, M. Malvezin a publié un long travail sur l’Origine de la famille Montaigne, mais rien sur le point qui nous occupe ; il le signale, en plaçant Montaigne au milieu de ses contemporains, et il regrette avec modestie de ne pouvoir le traiter.