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d’un contemporain, dans la belle traduction d’Amyot ; mais le grec lui était familier comme le latin : « Je vous lègue ma librairie, dit-il en mourant à Montaigne, μνημόσυνον sodalis tui, souvenir de votre ami ; » et par ces mots il exprimait à la fois sa connaissance des deux langues et ses adieux.

« Caton l’Uticain, dit-il, étant encore enfant et sous la verge, allait et venait souvent chez le dictateur César, tant pour ce que, à raison du lieu et de la maison dont il était, on ne lui fermait jamais les portes, et qu’aussi ils étaient proches parents. Il avait toujours son maître, quand il y allait, comme avaient accoutumé les enfants de bonne part… Il s’aperçut un jour que, dans l’hôtel de Sylla, tout allait non comme chez un officier de la ville, mais comme chez un tyran du peuple, et que c’était » — remarquons ce souvenir d’homme de loi et de magistrat — « non pas un parquet de justice, mais une caverne de tyrannie. Ce noble enfant dit à son maître : « Que ne me donnez-vous un poignard ? Je le cacherai sous ma robe. J’entre souvent dans la chambre de Sylla, avant qu’il soit levé. J’ai le bras assez fort pour en dépêcher la ville. » — « Voilà vraiment, dit La Boëtie, une parole appartenant à Caton… ; c’était le commencement de ce personnage, et digne de sa mort. » J’ose dire non ; cette doctrine du tyrannicide est mauvaise, et l’âme de La Boëtie était trop taillée sur un patron antique. Où s’arrête-t-on avec ces idées, et où est vraiment le tyran ? Les vaincus le voient dans les vainqueurs, et les hommes de désordre le voient partout. Un survivant de la Ligue tua Henri IV comme un tyran, parce qu’Henri IV avait vaincu les ligueurs.

Écoutons plutôt un auteur, qui n’est certes pas pour les tyrans : « Le sang répandu, dit-il, n’est pas une semence féconde… » C’est Michelet qui dit cela, dans les premiers volumes de son Histoire de France, en flétrissant le meurtre des maréchaux de Champagne et de Normandie par la démocratie du xive siècle. Le fer plus d’une fois trompe les mains qui l’aiguisent. Le peuple ne s’attache pas aux bourreaux ; il s’attache aux victimes. César assassiné devint