Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son poids même fondre en bas et se rompre… » Phrase admirable d’arrangement et de structure, où une inversion heureuse, imitée des Latins, tient comme en suspens le colosse, avant qu’on le voie tomber et rouler à terre… Avant Malherbe et même en prose, La Boëtie

D’un mot mis en sa place enseignait le pouvoir.

Boileau eût pu le dire de La Boëtie, comme il le dit de Malherbe. Mais qui connaissait La Boëtie au xviie siècle, au temps de Louis XIV ? On ne le connut qu’au xviiie siècle, et encore vers la fin. Les événements tour à tour ensevelissent les écrivains et les ressuscitent ; Montaigne même n’osait point parler du Contr’un. Mais pourtant, si La Boëtie ne recommandait qu’une résistance passive, une austère et indomptable force d’inertie, s’il repoussait toute violence, il n’y avait pas grand mal à procurer à ce beau morceau d’éloquence républicaine la vogue immense qui attendait les Essais. Y avait-il donc quelque autre raison à la prudence de Montaigne ?

Une doctrine de sang était alors prêchée dans le monde : le tyrannicide. Les ligueurs la prêchaient contre les protestants, contre Henri III lui-même, qui, selon eux, était trop tiède catholique ; et, comme on voit toujours un tyran dans un persécuteur, les protestants ne se faisaient faute de la prêcher contre les chefs de la Ligue… Eh bien, La Boëtie semble approuver le tyrannicide ; car il loue tous ceux qui l’ont commis. Harmodius et Aristogiton assassinent Hipparque, à qui on doit la coordination des chants épars des poèmes d’Homère, la première bibliothèque publique d’Athènes, et qui protégea Simonide et Anacréon ; ils l’assassinent dans une procession religieuse, comme si l’on frappait quelqu’un, de nos jours, au pied des autels : La Boëtie les approuve. Jules César est tué par Cassius et Brutus : il les approuve, et laissons-le, du reste, raconter lui-même un trait peu remarqué de la vie de Caton d’Utique. Il avait lu cette Vie dans Plutarque, et il pouvait la lire aussi dans la traduction