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vice, quel malheureux vice ! Voir un nombre infini, non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni leur vie même qui soit à eux ; souffrir les pilleries, les débauches, les cruautés, non pas d’un camp barbare…, mais d’un seul ; non pas d’un Hercule ni d’un Samson, mais d’un seul hommeau, et le plus souvent du plus lâche et féminin de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand’peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir virilement à la moindre femmelette… »

Qui ne voit ici une allusion évidente au jeune François II, triste époux de la belle Marie Stuart, et dont le père Henri II venait de périr dans un tournois ? J’insiste sur ce point, qui marque l’âge où La Boëtie écrivait, et qui nous prouve que nous sommes en présence d’une œuvre d’homme et non d’un travail inconscient d’écolier. Le règne de François II est l’époque de la conjuration d’Amboise, conjuration coupable, mais si durement réprimée. Partout on criait à la tyrannie des Guises… « Appellerons-nous lâcheté, dit La Boëtie, cette patience à souffrir les tyrans ? Deux peuvent en craindre un, et possible dix ; mais que mille, un million, mille villes ne se défendent d’un seul et endurent tout, cela ne s’appelle pas couardise, c’est un monstre de vice, que la nature désavoue avoir fait et que la langue refuse de nommer. »

Il n’y a donc pas de doute aux yeux de La Boëtie ; la tyrannie a pour base quelque chose qui est plus fort que la lâcheté humaine, et si l’on rampe dans la servitude, c’est parce qu’on le veut bien. « Celui qui vous maîtrise tant, » ajoute-t-il — et l’on va juger de cette éloquence incitatrice — « celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux comme vous, n’a que deux mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’aie moindre homme du grand nombre de nos villes… » Il dit nos villes, comme il va dire vous tous, pour bien montrer, ce semble, que c’est de nous et de la France qu’il parle… « Ce qu’il a plus que vous tous, c’est l’avantage que vous lui