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fosse, sans honneur ni sépulture ; il leur fit déterrer le corps de Monneins, non pas avec la bêche et le pieu, mais avec les doigts, en grattant et creusant le sol, jusqu’à ce qu’apparût le cadavre. C’est ce qui enflamma peut-être La Boëtie, qui avait alors dix-huit ans ; il écrivit sous cette impression ; et il fallait bien que quelque chose l’eût irrité, quoiqu’il ne le donne pas à connaître dans son discours ; car voici les conseils terribles qu’il donne contre les tyrans, et nous allons mieux voir maintenant ce qu’il pense des rois de France.


La Servitude volontaire, et ses causes.


Ce qui révolte le plus La Boëtie, en étudiant la condition des hommes et la politique qui les régit, c’est qu’il n’y aurait jamais de tyrannie, si on ne le voulait pas, et que la servitude n’existe que parce qu’elle est volontaire. De là le titre de son discours ; et de là vient aussi que, après avoir peint la servitude comme un malheur, il ajoute tout de suite avec profondeur qu’elle est un vice, un abandon de sa dignité, de sa raison, un sacrifice de soi-même qui dépasse son imagination et son intelligence. « Si les habitants d’un pays, dit-il, ont trouvé quelque grand personnage qui leur ait montré par épreuve une grande prévoyance pour les garder, une grande hardiesse pour les défendre, un grand soin pour les gouverner ; si de là en avant ils s’apprivoisent de lui obéir, et s’en fier tant, que de lui donner quelques avantages, je ne sais si ce serait sagesse ; d’autant qu’on l’ôte de là où il faisait bien pour l’avancer en lieu où il pourra mal faire : mais il y aurait de la bonté de ne point craindre de mal de celui duquel on n’a reçu que du bien. »

Je m’arrête un instant, et je demande si ce sont là des raisonnements d’un enfant de seize, de dix-huit ans ; si ces réflexions prudentes, ces calculs profonds, n’annoncent pas un autre âge. La Boëtie continue : « Mais ô mon Dieu ! » s’écrie-t-il, que peut être cela ? Comment dirons-nous que cela s’appelle ? quel malheur est celui-là ! ou plutôt quel