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Nous voilà dans un mauvais pas d’où il est difficile de se tirer… Mais dans quelle pièce Ronsard parle-t-il de Francus ? Dans un long épithalame en neuf ou dix chants, sur le mariage d’Antoine de Bourbon, père de Henri IV, avec la fameuse Jeanne d’Albret. Et d’abord, Ronsard ne dit pas qu’il ait fait la Franciade ; mais qu’il y pense, qu’il est fatigué de chanter l’amour et les plaisirs, qu’il va mettre d’autres cordes à sa lyre. « Voilà ce à quoi je pensais, dit-il… Mais l’amour est revenu plus fort que devant. Or, adieu donc, prince Francus… » Il n’y avait qu’un remède à cela, et Ronsard l’indique, avec aussi peu de retenue que de bon goût, « c’est, ajoute-t-il, que le bon roi Henri II fasse ma crossée ; » ce qui signifiait qu’il fallait que Henri II lui donnât, non pas un évêché, comme le dit M. Feugère — Ronsard n’était pas prêtre encore — mais un titre d’abbé mitré, une riche abbaye que Ronsard ferait gérer par des religieux et dont il toucherait les bénéfices. Ronsard était très quêteur. Sans cesse il tend la main dans ses poésies dédicatoires. Mais supposons que M. Feugère ait raison. De quelle date est cet épithalame ? De l’année 1555 ; ce qui donne à La Boëtie vingt-cinq ans d’âge, quand il composait le Contr’un, toujours plus de dix-huit ans.

Concluons donc victorieusement, à notre tour, que La Boëtie, comme nous l’avons dit, pouvait n’avoir que dix-huit ans, quand il eut l’idée du Contr’un, quand il en traça quelques lignes, mais que très certainement il avait âge d’homme quand il y mit la dernière main. À l’âge de dix-huit ans, les occasions ne manquaient pas à Bordeaux pour échauffer la bile de notre jeune publiciste, et M. Feugère, d’après de Thou et d’après le chroniqueur bordelais De Lurbe, le fait remarquer avec raison. C’était en 1548 : les Bordelais s’étaient révoltés, à cause des impôts, et le connétable de Montmorency, ce grand rabroueur d’hommes, comme l’appelle Brantôme, vint pour les châtier. Ils avaient agi au nom de leurs franchises ; il supprima leurs franchises, ils avaient tué le lieutenant du roi, Monneins, parent de Montmorency, et jeté son corps dans une