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« Je n’ai point, » dit-il lui-même en parlant de Pétrarque, et nous donnant de fort jolis vers,

« Je n’ai point………………………………
Du Florentin transi les regrets langoureux
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Chacun sent son tourment, et sait ce qu’il endure.
Celui-là aime peu qui aime à la mesure…
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Mon cœur chez toi, ô ma dame, est logé.
Là donne-lui quelque gêne nouvelle ;
Fais-lui souffrir quelque peine cruelle ;
Fais, fais-lui tout, hors lui donner congé. »

Voilà ce qu’on écrit à dix-huit ans, à vingt ans, et ce qu’écrivait La Boëtie à cet âge, et même plus tard. Il suivait la mode aussi. Pas un poète, pas un homme de lettres, depuis Pétrarque, qui n’eût un amour contemplatif, une muse pour l’inspirer, une dame pour le charmer. Les troubadours étaient passés, et la chevalerie n’était plus ; mais les traditions restaient, ardentes comme l’imagination, séduisantes comme la jeunesse, indestructibles comme la nature humaine d’où elles découlaient. La Boëtie ne différait pas de ses semblables ; il payait son tribut. À un autre âge il chercha d’autres plaisirs, et il écrivit en prose. Il ne faut pas se laisser éblouir par le flatteur témoignage de Montaigne, qui cherche à faire briller son ami. On aimait les tours de force à cette époque ; on n’était rien, si l’on n’avait expliqué Virgile à huit ans, si l’on n’avait pas traduit Homère à dix. Tous les érudits de ce temps, Anne Dubourg, Michel de l’Hôpital, Étienne Pasquier, Scévole de Sainte-Marthe, Montaigne enfin et La Boëtie avaient donné de leur génie ce spécimen précoce ; tous avaient été dans leur enfance des phénomènes, de petits prodiges. Ainsi la France n’avait rien à envier à l’Italie, et les Pic de la Mirandole naissaient aussi sur notre sol.

L’amour-propre avait de quoi être satisfait : mais la critique est moins complaisante que l’amour-propre ; et d’ailleurs les restrictions que l’on trouve dans le discours de La Boëtie, les atténuations d’expression et de pensée que nous avons